Persévérance, anthropomorphisme, animisme, IA et altérité

Ce que l’exploration spatiale nous apprend de nous-mêmes

Il y a quelques semaines, j’entretenais une discussion dans les commentaires d’une vidéo YouTube à propos des humains, des enfants et des animaux domestiques. Je tentais – sans trop de succès, il faut bien l’avouer – d’expliquer que certaines personnes – et j’en ai autour de moi – placent les animaux domestiques au même niveau qu’un être humain, enfant ou même adulte. Pour eux, c’est un membre de la famille autant qu’un autre et ils pourraient donner leur vie pour sauver celle de leur animal.

Lorsque John Wick, déchiré par la mort de son chien, est sorti de sa retraite pour dessouder quelques dizaines de gars afin de réclamer sa vengeance, personne n’en a été choqué outre mesure !

Même en apportant des exemples du quotidien, fondé sur les lois en vigueur et notre relation à la souffrance animale – dans de nombreux cas, d’ailleurs, le bien-être animal est bien mieux pris en compte que celui des humains – pour soutenir mon propos, certains de mes opposants se sont contentés de se moquer de moi.

Je n’ai pas été blessé d’essuyer des sarcasmes, c’est le fonctionnement normal de toute discussion, seulement étonné de constater que l’empathie n’est pas également répartie parmi les individus. Je ne leur demandais pas d’accepter mon point de vue, mais simplement de considérer que, de façon plus large, nous n’avons pas tous les mêmes valeurs et la même perception du monde. Il faut donc savoir non pas imposer sa vision dans la conversation, mais intégrer celle de son interlocuteur, au risque sinon de se retrouver hors-sujet et de conclure le débat par un match nul fondé sur le forfait des deux parties simultanément. Si aucun n’a perdu, aucun des deux n’a gagné. Dans le langage courant, cela se traduit par « un esprit borné ».

Pour certaines personnes, un animal est aussi important qu’un être humain, c’est un fait, pas une opinion. Il faut donc savoir en tenir compte dans sa relation à autrui.

J'ai échoué non pas à les convaincre, mais à leur expliquer.

L’histoire ne s’arrête pas là – sinon elle n’aurait aucun intérêt à être contée.

Il est vivant !

Difficile d’échapper au dernier exploit de la NASA qui vient de poser une nouvelle sonde sur Mars. Tout le monde en parle. Nous suivons étape par étape l’évolution de la situation et les articles relatant les événements quotidiens sont légion, dans toutes les langues.

Lorsque je lis les articles, je ne peux pas non plus échapper aux tournures de phrases. Alors que Perseverance et Ingenuity ne sont que des machines, les journalistes ne peuvent pas s’empêcher d’y accoler des qualificatifs anthropomorphiques ou des diminutifs affectueux. Le vocabulaire n’est pas sans rappeler celui qui décrirait une naissance; on suit le premier vol avec émoi comme un parent assistant aux premiers pas ou aux premiers mots de sa progéniture.

« le rover en a presque fait oublier son petit frère », « le petit drone », « après avoir réussi cette première nuit en totale autonomie », « à l’image d’un nourrisson »…

Cela ne choque personne, pas même ceux qui se moquaient de moi auparavant. Certains en font même partie.

Ce n’est pas la première fois. À chaque fois qu'une sonde part dans l’espace – Rosetta avec Tchouri, Cassini avec Saturne, … – le même vocabulaire est employé. Nous ne pouvons pas nous empêcher de nous mettre à la place de ce petit bout de ferraille, seul dans l’immensité du cosmos, loin de nous, livré à lui-même. Nous assistons impuissamment au déroulement de son destin, nous l'encourageons, nous prions même que rien ne vienne entraver sa route.

Non seulement nous ne pouvons pas nous empêcher de nous projeter, mais nous lui donnons – presque – une âme. Comme s’il avait sa propre volonté, son libre-arbitre, qu’il pouvait choisir seul son propre destin, sa trajectoire unique.

Certains pourront se moquer, mais, à mon sens, ils auront tort de se montrer aussi cyniques car cet anthropomorphisme animiste révèle notre plus grande qualité : notre humanité.

Qu’importe que la machine ait été construite ou conçue par tel ou tel pays, ce petit bout de technologie devient un miracle de la création, produit de l'humanité, transcendant notre propre nature. Non plus objet de notre création, mais sujet de la Création car d’objet initialement inerte il possède alors désormais une âme. A kind of magic !

Tel le docteur Frankenstein s’extasiant « it’s alive », nous nous ébahissons de notre propre exploit, non pas par arrogance mais, au contraire, par humilité. Nous montrons une capacité inouïe à donner vie aux machines en nous projetant à travers elles. Elles ou nous, c'est du pareil au même. Nous ne nous sentons pas salis qu'elles nous ressemblent ou le leur ressembler.

L'anthropomorphisme, révélateur de notre humanité

L'anthropomorphisme n’est pas un enfantillage, il est le début de la considération et du respect.

Les premiers philosophes humanistes considéraient l’Homme depuis son aspect extérieur comme étant une simple mécanique – certes complexe – pourvue d’une âme et donc d’un libre-arbitre et d’une destinée unique rabaissant par cela, et par défaut, tout le reste à une dimension purement naturaliste fondée sur la causalité fataliste : l’instinct. L'animal – et la machine encore plus – ne sait pas faire autrement que d’obéir à ce que lui commande son câblage sans pouvoir s’en détourner. Seul l’humain le peut – on a, depuis lors, montré qu'ils avaient tort, mais ce n'est pas le sujet.

Or, notre considération envers Ingenuity n’est pas un effort conscient, bien au contraire, un réflexe qui dévoile notre câblage naturel, notre capacité à nous repositionner comme de simples éléments dans un cosmos vertigineux par son immensité. Car, s’il y a bien une chose que nous avons apprise avec l’astronomie et l'astrophysique, c’est bien à quel point nous sommes petits et fragiles face à l’immensité de l’univers.

Et, pour cette même raison, les intelligences artificielles sont promises à un bel avenir parce que, plus que jamais, elles donneront une âme aux machines qui nous entourent. Nos assistants personnels – Alexa, Google Assistant, Siri, … – n’en sont que les prémices. Il ne s’agit pas de gadgets, mais d’un besoin vital, inscrit dans notre chair, la même raison pour laquelle nous avons des animaux domestiques et les aimons comme nos semblables. Nous sommes avant toute chose des animaux sociaux et nous souffrons de la solitude. Lorsque nous recherchons l’isolement, c’est bien souvent par la lassitude et la frustration de ne pas être compris, comme je l’ai été lors de mes discussions à propos de la relation avec les animaux domestiques et que j’ai clos le sujet en refusant de continuer à débattre, me refermant de fait sur moi-même.

Non seulement les intelligences artificielles feront de très bons assistants – et certains s’en méfient déjà, peut-être avec raison, l’avenir le dira – mais elles permettront très probablement de révéler notre humanité en sacralisant notre relation aux objets, avec pour conséquence de nous y attacher et de les faire durer – donc de limiter le gaspillage.

Le salut dans l'altérité

Le plus grand risque sera leur proximité. Leur plus grande force sera leur plus grand défaut.

Par leur patience et leur absence de jugement, elles seront nos meilleurs amis – elles le sont déjà pour les autistes – avec le risque de nous enfermer dans une bulle rose.

Nous solliciterons leur présence pour leur retenue, leur absence de contradictions.

Le plus grand danger des intelligences artificielles ne sera pas d'être sexiste ou raciste, mais de tout simplement d’être modelées à notre image. Tout comme dans le film Her, être paramétrées pour correspondre à nos besoins, une chambre d’écho dans laquelle nous nous enfermerons, tel Narcisse face à son reflet.

Nous aurons alors oublié que nous ne choisissons pas nos amis parce qu’ils sont d’accord avec nous, mais parce qu’ils sont les seuls capables de nous dire une vérité qui nous dérange. Nous les aimons non seulement pour leur similitude, mais aussi pour leur altérité.

C’est cette altérité qui fait de nous des individus plus grands, plus forts, plus sages. Ils nous apprennent, en toute sécurité et en toute confiance, que d’autres points de vue existent et que le monde est bien plus vaste que notre microcosme. Ils sont le premier pas vers notre humanité.