Vive les Fake News !

Vivre et laisser mourir

La lutte contre les Fake News est devenu en quelques années la problèmatique quasi-principale de toute plateforme propageant de l'information.

Elle part d'une bonne intention, semble-t-il… mais l'enfer est pavé de bonnes intentions.

Un moyen d'affiner son intellect

L'humain est à la fois un scientifique du quotidien et un animal social. Tout groupe, toute société doit faire face en permanence et simultanément à l'authentique et à l'escroc; chaque individu doit apprendre à qui/quoi faire confiance ou pas.

Ces contraintes ont permis au cerveau de se développer et de devenir un véritable détecteur de mensonges encore largement sous-exploité. Mais, comme tout outil, il nécessite d'être utilisé, affûté et récalibré régulièrement.

Les fake news sont un moyen d'excercer son intellect à reconnaître les mensonges et travailler son esprit critique. Tout comme exposer le corps à des pathogènes pour lui apprendre à reconnaître des dangers et s'en défendre, les fake news sont un moyen simple et efficace de rester alerte et se défendre contre les manipulations à plus grande échelle.

Un indicateur de l'état démocratique

Un des principes essentiels de la démocratie est la liberté de pensée et d'opinion. Ces libertés incluent le droit à la parodie et donc aux fake news.

La volonté de supprimer les fake news pour avoir un monde plus propre revient à vouloir imposer une pensée juste, sans possibilité d'explorer d'autres voies, de critiquer, de plaisanter, de parodier, de mettre en doute ou d'offenser. La plupart des fake news naissent de la simple volonté de s'opposer à la pensée dominante du simple faite qu'elle soit dominante; mettre un coup de pied dans la fourmilière pour faire le malin.

Paradoxalement, un monde sans fake news serait de fait un monde moins démocratique car il signifierait qu'une entité décide de ce qui doit/peut être publié ou pas.

Si l'intention est louable au départ pour ceux qui croient vraiment œuvrer pour la juste cause, alors il ne s'agit ni plus ni moins que de paternalisme.

Pour les autres, en revanche, j'aurais tendance à me méfier de leurs vraies intentions car s'ils suppriment les fake news, c'est peut-être pour mieux nous endormir et nous faire gober des mensonges encore plus gros.

Avant l'alerte d'Edward Snowden, un individu avançant que le gouvernement américain espionnait ses citoyens aurait été qualifié de paranoiaque de complotiste. Et le complotisme fait partie des fake news. Au regard de l'histoire, ces complotistes avaient-ils tort ?

Les sources officielles… et les autres

Un autre problème des fake news provient de la lutte pour la suprémacie du marché de l'information. Certains media en vivent et sont concurrencés par le premier péquin venu, ce qui diminue d'autant leur capacité à monétiser leur travail. La problématique est la même que le combat des chaînes de distribution agro-alimentaire face aux petits producteurs locaux.

Ils ont donc tout intérêt à pointer du doigt le problème des fake news, voire l'exagérer, afin de légitimer leur existence et leur importance au regard de la «vraie information», afin de conserver leurs sources de revenus, parfois avec l'appui du gouvernement.

Un problème de consommation avant tout

Nous considérons trop souvent, à tort, que notre vie serait plus facile et plus optimale avec le bon outil, au lieu de nous demander si nous n'avons nous-mêmes pas encore quelques progrès à faire. Les fake news ne sont qu'une externalité de plus qui nous dispenserait d'une discipline personnelle. Tout serait tellement plus simple si le monde était parfait !

Or, les fake news ne se propagent qu'au travers de notre besoin non justifié, dans la majeure partie des cas, d'être au courant de tout, tout le temps, plus nous consommons d'informations, moins nous avons de temps – et de cerveau – disponible pour les vérifier et les valider.

Parce que nous entendons partout que «l'information est le pouvoir», nous nous acharnons à rester à la page. Mais l'information est-elle réellement le pouvoir ?

Les attentats du 11 septembre 2001 n'ont été une surprise ni pour les agences de renseignements américaines ni européennes, ces dernières ayant eu vent de numeurs qu'elles ont immédiatement transmises aux intéressés. En mettant de côté la guerre entre le FBI et la CIA, les rumeurs concernant des attentats avec des avions étaient remontées aux oreilles des analystes… qui n'y ont simplement pas cru, pour deux raisons essentielles:

  • la méthode utilisée était surréaliste – même s'il y avait déjà eu une tentative en France, interceptée de justesse à Marseille le 26 décembre 1994;
  • ces rumeurs n'étaient pas les seules; elles entraient en concurrence avec d'autres et se sont retrouvées noyées dans la masse.

Les analystes concernés ont donc fait ce que la plupart des individus auraient fait à leur place : ils les ont reléguées au second plan. Il avaient pourtant toutes les informations nécessaires en leur possession.

Ce simple exemple montre que les fake news ne sont qu'une partie d'un problème plus large, lié non pas à la qualité de l'information mais à notre incapacité à traiter une grande quantité d'informations à la fois. La bonne information se trouve alors perdue dans le brouhaha.

Le micromanagement est un autre exemple. Le micromanager est une personne dépendante – dans le sens d'une addiction – à l'information, ayant un besoin viscéral de disposer de l'ensemble des informations pour anticiper tous les problèmes possibles et imaginables avec un effet contre-productif : l'énergie dépensée à identifier les problèmes qui pourraient arriver – relevant souvent de l'extraordinaire – est détournée au détriment de celle requise pour agir en amont afin d'éviter les écueils en se concentrant sur le travail bien fait, dans l'ordre et dans les règles de l'art.

Or, la force de l'être humain n'est pas de suivre un plan prédéfini reposant sur toutes les informations nécessaires pour se rendre d'un point A à un point B, mais de naviguer à vue, avec peu d'informations, noyé dans le brouillard, et d'avancer pas à pas. En informatique, cette méthode a été formalisée par la méthodologie de développement agile.

Parce que nous sommes capables de naviguer à vue, sachant parfois transformer l'absence d'informations en une nouvelle information – dit autrement :  l'absence de preuve est une preuve par l'absence –, nous n'avons pas forcément besoin de tout connaître, mais de connaître l'essentiel, tout comme Sherlock Holmes effaçait de sa mémoire les informations non essentielles à son activité pour éviter les perturbations et se focaliser sur un cœur réduit mais efficace de données.

Dans son livre The Information Diet: A Case for Conscious Consumption, Clay Johnson compare pertinement notre consommation d'informations avec notre consommation alimentaire, les deux souffrant de la mal-bouffe, du prêt à avaler et digérer, sans mâcher. Il propose de revenir à une alimentation équilibrée et contrôlée, moins en quantité mais de meilleure qualité, avec un effort sur la traçabilité – vérification des sources.

Si les fake news sont le résultat de cette mal-bouffe, l'information vérifiée, contrôlée et estampillée l'est tout autant. Parce que nous n'avons pas le temps de vérifier ce que nous avalons, nous délégons à un autre la responsabilité de le faire. Cependant, tout comme nous sommes responsables de ce que nous mettons dans notre bouche, nous sommes aussi responsables de ce que nous mettons dans notre cerveau, notamment parce que la diversité des sources nous permet aujourd'hui de vérifier, contrôler et choisir par nous-mêmes.

Conclusion

Que faut-il faire ?

Les conseils de Clay Johnson restent intéressants et valides.

L'information est une nourriture comme une autre. Comment feriez-vous pour manger sainement ?

Vérifier la traçabilité, consommer des produits frais, consommer local, auprès de petits producteurs que vous connaissez et que vous respectez pour leur travail parce qu'ils le font bien. Un petit nombre de producteurs offrant toutes les garanties de sérieux.

Ce sérieux est assez facile à vérifier s'ils fournissent leurs sources.

De la même façon, choisissez des producteurs locaux, triés sur le volet, qui exposent leurs sources. Un petit nombre constamment révisé et renouvelé – car rien n'est immuable. Cette sélection vous obligera à mettre en place une discipline personnelle et affûter votre esprit, à le garder alerte en s'interrogeant sur la pertinence.

Le côté positif est déjà visible

Il y a quelques années encore, n'importe qui pouvait dire n'importe quoi, que ce soit dans un article, dans une vidéo ou un commentaire.

Aujourd'hui, sans nous en rendre compte, cette époque est révolue. La moindre intervention un peu sérieuse doit être accompagnée de ses sources. Il n'est pas rare non plus qu'un commentaire demande «Quelles sont tes sources ?».

Ce comportement est aujourd'hui tellement la norme que l'inverse nous paraît alors pauvre et sans intérêt. Le scientifique du quotidien caché en chacun de nous s'est éveillé pour faire enfin son travail.

Plus les autres nous assaillent avec leurs sources, plus nous désirons démonter leurs arguments avec les nôtres, entretenant alors une boucle de rétro-action positive, laissant libre cours à l'expression démocratique, celle qui naît du débat contradictoire.

Dans un tel contexte, la meilleure des solutions est de laisser les fake news vivre et de les laisser mourir.