Pourquoi le Carême rend les gens heureux (et pas Netflix)

Une nouvelle recherche suggère que réduire les plaisirs de la vie nous aide à en profiter beaucoup plus

Comme beaucoup de téléspectateurs de nos jours, nous regardons nos émissions préférées sur Netflix, consommant deux, trois ou plus d’épisodes – parfois des saisons entières – à la fois.

Mais nous ne nous en rendons guère compte, goinfres que nous sommes, nous nous privons de bonheur.

C'est la leçon d’une nouvelle recherche dans le domaine de la psychologie positive. Cette recherche montre que se livrer aux plaisirs de la vie à plus petites doses, ou même les abandonner pendant des périodes de temps, nous aide à en profiter beaucoup plus.

Dans une nouvelle étude, publiée dans la revue Social Psychological and Personality Science, les chercheurs Jordi Quoidbach et Elizabeth Dunn ont demandé à 55 personnes de manger un morceau de chocolat et rapporter ce qu'elles ressentaient. Ensuite, les chercheurs ont demandé à certaines de ces personnes de s'abstenir de chocolat durant une semaine, ont dit aux autres de manger autant de chocolat qu'ils voulaient et n'ont donné aucune instruction particulière à un troisième groupe.

Quand les 55 personnes ont mangé un autre morceau de chocolat à la fin de la semaine, les personnes qui s'étaient abstenues de chocolat ont rapporté un bonheur significativement plus important que les goinfres ou les personnes livrées à elles-mêmes.

En fait, les goinfres ont rapporté se sentir moins heureux après leur chocolat de fin de semaine qu'ils ne l'avaient ressenti après avoir mangé leur morceau en début de la semaine.

Cependant, si cette étude est la première à trouver qu’abandonner temporairement quelque chose de plaisant peut être positif pour notre bonheur, elle s'appuie sur des années de résultats similaires. Une étude a révélé que les gens appréciaient plus un épisode de l'ancienne sitcom "Taxi" si cela incluait des publicités que si ce n'était pas le cas. Dans un autre article récent, les gens ont dit qu'ils prenaient plus de plaisir à partir d'expériences positives – assis dans une chaise de massage, en écoutant du hip-hop japonais – lorsque ces expériences étaient brièvement interrompues.

En fin de compte, les individus ont tendance à s'habituer très rapidement aux sources de joie et de plaisir, les prenant rapidement pour acquises. Et quand vous avez plus de cette chose agréable, il devient plus facile de le prendre pour acquis et plus difficile de la savourer. Le résultat est un engourdissement psychique aux bonnes choses de la vie.

Et ça devient pire. Bien que cet effet d'engourdissement puisse sembler évident, nous n’en sommes généralement pas conscient dans nos propres vies : des études montrent que les gens pensent – à tort – que l'accumulation de choses de valeur les rendra plus heureux.

En même temps, nous avons tendance à sous-estimer comment une consommation modérée pourrait augmenter notre plaisir et notre bonheur à long terme : les participants au «Taxi», au fauteuil de massage et au hip hop japonais pensaient que l'expérience serait plus agréable sans interruptions. Ils avaient tort.

En effet, une si grande partie de notre comportement quotidien est motivée par l'idée fausse que plus nous en avons, mieux c’est. Nous célébrons nos vacances les plus importantes en cuisinant deux fois plus de nourriture que nécessaire, puis nous l’avalons en quatrième vitesse. Nous travaillons dur pour obtenir une promotion - puis, après l'avoir obtenu, commencez à réfléchir à la façon d'obtenir le prochain. Nous restons debout toute la nuit à dévorer "House of Cards" ou la dernière saison de "Mad Men".

De plus, cette même idée fausse sur le bonheur amène beaucoup de gens à convoiter la richesse et les choses matérielles. La recherche suggère que plus d'argent peut accroître notre bonheur, mais seulement jusqu'à ce que nous gagnions jusqu'à environ 75 000 $ par an. Après cela, il semble y avoir une augmentation négligeable du bonheur à gagner plus d'argent, ce qui signifie que beaucoup d'entre nous gaspillons beaucoup de temps à poursuivre un bonheur que nous n'atteindrons jamais. Ou pire encore, notre recherche de la richesse unique nous stresse, compromet nos valeurs et restreint nos relations – sans pour autant apporter ce supplément fugace de bonheur.

Toutes ces recherches indiquent un paradoxe du bonheur : il n'est pas lié à l'abondance mais à la reconnaissance et à l'appréciation de ce que nous avons. Une fois que nous répondons à nos besoins de base, nos vies deviennent plus satisfaisantes si nous pouvons savourer et être reconnaissants pour le bien qui est déjà autour de nous, avant que de nous acharner à faire plus.

Plus facile à dire qu'à faire. Mais par coïncidence, des millions d'Américains ont commencé à faire preuve de modération au cours du dernier mois en raison de leur observance du Carême.

Pour les chrétiens, celui-ci est censé être une période de repentance et d'abnégation, bien sûr, un temps pour abandonner la viande, le chocolat, le sexe et autres plaisirs comme un moyen d'expier les péchés. Mais les recherches de Quoidbach et Dunn suggèrent qu'il peut avoir d'autres avantages: Se priver temporairement de certains plaisirs pendant 40 jours peut finalement rendre les gens plus heureux que de s'y livrer de façon constante. En d'autres termes, un rituel religieux de renoncement pourrait permettre finalement de se sentir très bien.

À une époque où la science et la religion sont souvent perçues comme contradictoires, il est encourageant de les voir toutes deux valider un message simple et contre-intuitif: Parfois, nous gagnons beaucoup plus en abandonnant certaines choses.

via : Why Lent Makes People Happy (and Netflix Doesn’t)

Traduction : Christopher Compagnon