Ma pire expérience : 6 jours sans dormir

Ce qui s'est passé lorsque je suis resté 6 jours sans dormir

J’étais étudiant et, sans pour autant se concerter, tous les professeurs de mes matières principales – maths, physique et chimie – avaient eu la bonne idée de nous donner des devoirs à rendre durant la même semaine.

J’avais donc coup sur coup trois devoirs à rendre, du travail à la maison en plus de mes cours à suivre dans la journée.

Parce que j’ai été moins rapide que ce que j’avais évalué en premier lieu, que je ne manque jamais l'école – même quand je suis malade – et que je supporte encore moins d'être en retard dans la remise de mes copies, j’ai passé six jours consécutifs sans dormir, avec pour seul soutien que ma détermination. En commençant, je ne savais bien évidemment pas  que j’en aurais pour six longues journées; j’ai simplement tenu bon, un jour après l’autre, du dimanche matin jusqu'au vendredi soir.

Voilà comment ça s’est passé…

Les deux premiers jours

Rester 48 heures sans dormir, rien de plus facile. Il suffit simplement de passer une nuit blanche. Je le fais même régulièrement. C’est à la portée de tout le monde sans aucun entraînement particulier; et parce que c’est à la portée de tout le monde, on croit aisément que les autres jours seront aussi faciles…

Que nenni !

Le troisième jour

À partir du troisième jour, tout bascule. Étrangement, le premier et principal organe à fatiguer est… les yeux, ou, plus particulièrement, le nerf optique.

Le troisième jour, donc, j’ai commencé à ressentir une douleur à l’arrière des yeux.

Étant issu d'une famille assez pauvre, la consultation chez un médecin ainsi que des médicaments ont toujours coûté cher. J'ai donc grandi avec l'habitude d'endurer les souffrances passagères infligées par les symptômes d'une maladie plutôt que céder à la facilité de prendre un médicament. Ainsi donc, je n'ai jamais, pas une seule seconde, eu l'idée de prendre un produit quelconque – caféine incluse – pour m'aider à rester éveillé ou supporter la douleur, avec ma seule volonté pour me prêter main forte.

Surtout que la solution était simple : le seul moyen de l’interrompre le calvaire était de fermer les paupières car, lorsqu'on les ferme, l'absence de signal visuel interrompt tout un processus, comme si le cerveau était en sommeil, même lorsqu'on cligne simplement des yeux. C'est pourquoi il est si important de fermer les paupières et que, sans les paupières baisées, il est quasi-impossible de dormir. A contrario, si l'on ferme les yeux, on s’endort ; si l’on s’endort, le travail n’avance pas.

Il faut donc garder les yeux ouverts pour rester éveillé et actif – sur le papier, ça joue bien, mais sur le papier seulement.

Et c’est tout ! C’est tout et c’est beaucoup. Car, plus le temps passe, plus la douleur s’intensifie, jusqu’à envahir le cerveau en entier, à cogner et résonner dans la boîte crânienne à chaque battement de cœur.

La conséquence indirecte : durant cette période, la lumière naturelle est devenue trop forte au point de m'éblouir – alors que j'y suis déjà sensible naturellement.

Et cela a été mon calvaire durant les quatre journées suivantes, la douleur s'intensifiant d'heure en heure. Garder les yeux ouverts, avec pour conséquence de subir cette douleur insupportable qui envahissait tout mon esprit; ébloui par une lumière aveuglante en permanence, me précipitant au bord des larmes; luttant de surcroît contre un cerveau qui me tentait à chaque seconde en me disant : « vas-y, ferme les yeux, juste un peu, quelques instants... »

Imaginez un coup de marteau à l'intérieur de votre tête, se propageant depuis l'arrière des yeux dans l'ensemble de votre crâne; un choc toutes les 0,8 seconde en moyenne, cela durant 4 jours, sans arrêt, sans pause, sans répit.

Certaines expériences font état d’hallucinations. Je n’ai rien vécu de tel. Si j’en ai eu, je n’en ai pas été conscient.

Mon expérience a juste été une migraine épouvantable et éblouissante durant quatre longues journées, ainsi qu’une perte de masse de 500 gr par nuit blanche supplémentaire. Je vous déconseille d’utiliser cette méthode pour maigrir. C'est payer beaucoup trop cher !

Et après ?

Le vendredi soir, après des six jours de supplice, lorsque j'ai pu enfin me coucher, j'ai dormi comme une masse, faisant le tour du cadrant, 13 heures d'affilée, ce qui ne s'est jamais reproduit depuis – je dors généralement 5 à 6 heures, 7 heures quand je suis très fatigué.

Conclusion

Il n’existe aucun record du monde dans le livre Guinness des Records concernant le manque de sommeil, et pour cause ! C’est de loin, la pire expérience que j’ai eue à surmonter, avec des souffrances interminables pour un résultat déplorable. De toutes les souffrances subies avec et sans mon consentement – et Dieu, s'il existe,  est le seul à connaître toutes les souffrances que je me suis infligées au cours de la vie –, celle-ci a été la pire, à tel point que je ne la souhaite à personne. C'est aussi la seule que je ne serai jamais tenté d'expérimenter une nouvelle fois.

En effet, rester sans dormir aussi longtemps ne sert à rien. Je ne me souviens pas des notes que j’ai eues, mais je sais juste que cette douleur a été si envahissante qu’elle a occupé tout ou partie de l’esprit au point de me rendre peu productif. Il vaut mieux dormir et être à fond, que ne pas dormir et vivre au ralenti.

Je pensais naïvement que ne pas dormir me permettrait de rattraper le temps perdu. Mais j'avais tort.

J'ai tenu aussi longtemps parce que je ne savais pas au départ que j'en aurais pour autant. J'avais estimé à une ou deux nuits blanches, tout au plus.

Passer une nuit blanche ne pose aucun problème, mais plus est contre-productif.

Avec les oreillons, cette épreuve est la seule qui me laisse une trace vive en mémoire, pour laquelle je ressens encore, des années après, une douleur physique chaque fois que j'y pense, comme une trace indélébile pour laquelle je suis partagé : fier d'avoir tenu aussi longtemps pour une expérience aussi idiote et un résultat aussi vain. Cependant, l'important est d'apprendre de ses erreurs et de savoir de quoi on est capable, une victoire de l'esprit sur le corps. Je sais ce que je suis capable d'endurer; je suis moins prompt à me laisser impressionner par les vicissitudes.