Dans un certain sens, j’ai eu la chance de ne pas être un « digital native ». J’ai connu le monde avant l’avènement d’Internet. Et avant Internet, le monde était limité et ennuyeux.
Limité car dès lors qu’on voulait apprendre, il fallait emprunter un livre à la bibliothèque et le nombre d’ouvrages était limité à 4 ou 5 par semaine et par personne. Autant dire : rien. Pour seule richesse, j’avais un encyclopédie en 22 volumes. J’ai dû la lire au moins 10 fois. Je la connaissais par cœur. Mais on ne lit pas une encyclopédie comme on lirait une Bible. Comme tout un chacun, mon esprit avait besoin de nouveautés en quasi permanence. Et ce monde de limitations était frustrant. Pis : ennuyeux, sans intérêt… fade.
Puis Internet est arrivé -- pour moi, en 2004, lorsque j'ai été assez grand pour payer et assez dégroupé pour disposer d'une connexion ADSL. Et là, miracle ! Tout est devenu illimité. Brusquement, le monde de la connaissance s’ouvrait à moi et je pouvais satisfaire mes curiosités sans jamais aucune limitation de nombre, de lieu ou de temps. Chaque espace numérique était un univers, immense, infini, n’empiétant jamais sur celui des autres. Il y avait – et il y a toujours – une vraie liberté.
J’ai eu la chance de connaître ce passage car il me permet de me souvenir. De me souvenir de ces frustrations. De me souvenir de cette libération. Brusquement, le monde était devenu intéressant.
D’ailleurs, je ne manque jamais de le rappeler lorsque des amis ou des collègues m’interrogent sur ma période préférée : « Si tu pouvais choisir une époque pour vivre, laquelle choisirais-tu ? »
Je réponds toujours : « L’actuelle me convient bien.
— Pourquoi ?
— Parce qu’il y a Internet. »
Avec la brosse à dent, Internet fait partie de ces inventions que je ne regrette pas et que je n'abandonnerais pour rien au monde. Ok, c’est perfectible. Nous pourrions améliorer sa performance énergétique. Mais je pense qu’il s’agit juste d’une transition. Les usages ont dépassé les capacités technologiques et il a fallu parer au plus pressé. L’intelligence pratique a parlé. Mais la problématique est posée et des gens y travaillent avec acharnement. Ça viendra.
Alors que pouvais-je faire d’autre ? J’étais presque obligé de prendre cet héritage et de le protéger, de le développer, de lui permettre de s’épanouir. J’ai donc construit mon propre bout d’Internet, chez moi -- entièrement alimenté avec des énergies renouvelables. Et puis comme je défendais certaines valeurs originelles qui ont plues à d’autres, ils sont venus aussi sur mon bout d’Internet et je suis devenu micro-hébergeur.
Je n’ai jamais eu l’occasion de remercier Tim Berners-Lee pour ce qu’il a fait. Inventer, d’abord. Puis partager -- au lieu de vendre -- afin de permettre à cette belle idée de s’épanouir, pour le résultat que nous connaissons. Cette décision a changé ma vie… et m’a sauvé la vie. Oui, avec le recul, j'en suis certain : sans Internet, mon horizon se limitait à quelques livres et la télévision.
Avec le recul, je n’abandonnerais cette liberté, cette diversité culturelle pour rien au monde. Grâce à Internet, ma vie est devenue plus riche et plus intéressante. Internet m’a sauvé d’une vie ennuyeuse, sans intérêt, sans ouverture et sans horizon. Je rencontre des personnes que je n'aurais jamais rencontrées. J'apprends des choses que je n'aurais jamais apprises aussi facilement. Je fais des choses que je n'aurais jamais imaginer faire un jour…
Et ce n'est pas fini ! Ce n'est que le début. Il y a encore tant à faire, tant à découvrir, tant à inventer. Telle est la voie de l'héritage.