Pourquoi perdre le contrôle peut vous rendre plus heureux

Nous avons tous un besoin viscéral de sentir un contrôle. Mais aller trop loin peut vous rendre malheureux.

Les êtres humains ont un profond désir de certitude et de contrôle.

Plusieurs études montrent que ce besoin sert au moins deux objectifs importants. Premièrement, cela nous aide à croire que nous pouvons façonner les résultats et les événements à notre goût. C'est-à-dire que plus nous nous sentons en contrôle, plus nous nous sentons efficaces pour atteindre les résultats souhaités, et ce sens de la compétence stimule le bien-être.

Nous apprécions aussi le contrôle parce qu'il nous fait croire que nous ne sommes pas sous le contrôle de quelqu'un d'autre. Dans une étude, des chercheurs ont donné à une d'un groupe de pensionnaires d'une maison de retraite le contrôde sur quelle plante à cultiver dans leur chambre et quels films à regarder. L'autre groupe a été privé de ce choix. Au cours des dix-huit mois qui ont suivi, le taux de mortalité du deuxième groupe était le double de celui du premier.

C'est pourquoi nous avons tendance à rechercher le contrôle. En effet, les études montrent que ceux qui ont le plus besoin de contrôle définissent généralement des objectifs plus ambitieux et ont tendance à atteindre plus d'objectifs. Mais cela peut-il aller trop loin ? La recherche du contrôle à tout prix peut-elle diminuer le bonheur? Il s’avère que la réponse est oui. Chercher le contrôle est une bonne chose, mais seulement jusqu'à un certain point. Au-delà, la volonté de contrôler peut vous rendre misérable.

Pourquoi contrôler les autres crée un conflit

Posez-vous cette question : comment vous sentez-vous lorsque vous êtes sous le contrôle de quelqu'un d'autre? Imaginez être marié à quelqu'un qui contrôle excessivement. Ou pire encore, imaginez être l'esclave de quelqu'un. Être contrôlé n'est pas amusant – et c'est pourquoi nous avons tendance à nous rebeller.

Les psychologues appellent cette qualité la « réactance »  : le désir de faire les choses qui sont proscrites. Par exemple, tenter de contrôler l'alimentation de votre conjoint peut entraîner une augmentation de sa consommation de nourriture malsaine, juste pour vous contrarier. C'est pourquoi, dans les relations adultes, vous pouvez soit avoir le contrôle sur les autres, ou vous pouvez avoir leur amour, mais pas les deux. Et parce que l'amour est un besoin fondamental pour nous, être excessivement contrôlant n'est pas bon pour le bonheur.

Il y a une raison connexe pour laquelle le contrôle excessif sur les autres diminue le bonheur : il en résulte ce que le psychologue motivationnel bien connu David McClelland appelle le «stress du pouvoir», une tendance à être colère et frustré lorsque les autres ne font pas comme vous voulez.

Dans une étude, on a demandé à un groupe ayant un grand besoin de contrôle et à un autre groupe ayant un faible besoin de livrer un discours improvisé à un auditoire composé de deux collègues. Pour un groupe de participants, les collègues ont réagi d'une manière favorable et plaisante, mais pour l'autre ensemble, ils ont réagi négativement.

Voici ce que les résultats ont montré : lorsque les collègues étaient positifs et encourageants, ceux qui avaient le plus besoin de contrôle étaient plutôt heureux. Ce n'est pas surprenant, bien sûr. Lorsque les collègues se sont comportés négativement, cependant, un résultat plus intéressant a émergé : ceux qui avaient le plus besoin de contrôle l'ont trouvé beaucoup plus dérangeant et ont fini par se sentir significativement plus négatifs que ceux qui avaient peu besoin de contrôle. Cela suggère que, lorsque vous cherchez le contrôle sur les autres, vous vous mettez en place pour la colère, la frustration et la déception quand ils ne se comportent pas comme vous le souhaitez.

En plus d'anéantir l'amour des autres et de se sentir frustré, il y a encore une autre raison pour laquelle la volonté de contrôler peut diminuer le bonheur. Cela est en relation avec la qualité des décisions que nous prenons. Il s'avère que nous prenons nos meilleures décisions lorsque nous sommes exposés à un ensemble de points de vue et d’informations divers. C'est pourquoi il est important de s'entourer de personnes ayant des vécus différents. Lorsque nous contrôlons trop les autres, notre prise de décision souffre parce que nous chassons ceux qui ne sont pas d'accord avec nous et ne nous entourons donc que de ceux qui se moquent d'être contrôlés: les béni-oui-oui.

Pourquoi la passion obsessionnelle blesse le bonheur

Chercher à contrôler les autres est une façon d'exercer un contrôle. Nous pouvons également tenter de contrôler l'environnement externe – les résultats et les événements de la vie de quelqu’un. Le contrôle exagéré des résultats, comme le contrôle excessif des autres, réduit également les niveaux de bonheur pour diverses raisons.

Avant d'arriver à ces raisons, il est important de noter que le contrôle exagéré des résultats n'est pas la même chose que d'être désireux d'atteindre nos objectifs, comme entrer dans une bonne école ou désirer avoir bonnes relations. Les résultats montrent que l'atteinte d'objectifs stimule le bonheur. Vous franchissez la limite en devenant trop contrôlant lorsque vous devenez obsédé par l'obtention des résultats souhaités – et le désir d'atteindre les résultats vous contrôle. Le professeur Robert Vallerand de l'Université du Québec à Montréal décrit cette tendance comme une «passion obsessionnelle».

Comme la plupart des gens le savent, la vie est incertaine – et essayer de contrôler excessivement les résultats vous place en position de déception. Par exemple, une étude a montré que le fait d'être dans une pièce surpeuplée dégradait davantage l'humeur des participants ayant le plus besoin de contrôle parce que ces derniers estimaient que la pièce n'était pas à leur goût. Une autre étude a révélé que lorsque les gens sont placés dans des situations où ils ont moins de contrôle qu'ils ne le souhaitent, leur tension artérielle augmente. Ces résultats indiquent que lorsque la vie ne va pas comme prévu – ce qui arrive assez souvent bien sûr – ceux qui ont le plus besoin de contrôle souffrent davantage.

Et encore une fois, le besoin de contrôle – dans ce cas, de résultats – nuit à la prise de décision. Les résultats montrent que les personnes trop contrôlantes sont plus susceptibles de prendre des risques et sont plus susceptibles de devenir superstitieuses dans des situations stressantes que celles qui ont peu besoin de contrôle. Elles sont aussi plus susceptibles d'être victimes de l'illusion du contrôle – qui consiste à croire que l'on a plus de contrôle sur une situation qu'on a en a réellement – et risquent donc de perdre plus d'argent dans des contextes de jeu impliquant des enjeux réels.

Enfin, la volonté de contrôler les résultats diminue le bonheur parce que lorsque vous voulez contrôler si mal quelque chose – par exemple, obtenir un emploi particulier –, vous risquez de sacrifier d'autres choses qui vous rendent heureux. Les conclusions de Vallerand et de ses collègues montrent que le fait d'être obsédé par quelque chose a un impact négatif non seulement sur sa propre santé physique et émotionnelle, mais aussi sur la santé de ses relations.

Le manque de contrôle peut-il vous rendre plus heureux ?

Parce que le contrôle excessif réduit le bonheur, il serait évidemment utile de trouver des moyens de bien contrôler les tendances de recherche de contrôle.

Une suggestion ? Apprenez à apprécier l’incertitude plutôt que d'éviter.

Comment faire ? Tout d’abord en reconnaissant l'importance de l'incertitude pour pimenter la vie. Nous savons tous, à un certain niveau, que l'incertitude est importante, c'est pourquoi nous évitons de lire des «alertes spoiler» avant d'aller au cinéma. Et pourtant, bien que nous reconnaissions instinctivement le rôle positif que joue l'incertitude, nous nous sentons aussi menacés par elle et croyons qu'elle freine le bonheur.

Considérez ceci : des chercheurs ont dit à des participants qu'ils recevraient bientôt un dollar sans contrepartie. On a demandé à un groupe d'imaginer qu'il apprendrait pourquoi il a reçu le dollar peu de temps après l'avoir obtenu, tandis que l'autre groupe a été invité à imaginer qu'il n'apprendrait pas la raison. Les deux ont ensuite été invités à indiquer à quel point ils seraient heureux de recevoir le dollar.

Le premier groupe – ceux qui s'attendaient à connaître la raison de recevoir le dollar – s'attendait à être plus heureux que le second. En fait, ce fut l'inverse: ceux qui n'avaient pas appris la raison du dollar furent plus heureux. Résumant ces découvertes, Todd Kashdan, auteur de l'excellent livre Curious?, note que « ce que nous pensons de ce qui nous apportera du plaisir » – dans ce cas la certitude et le contrôle – « est souvent exactement le contraire de ce qui se produit ».

Prendre le contrôle de soi

Si l'incertitude est importante pour le bonheur, pourquoi y sommes-nous généralement opposés ?

Bien que l'incertitude soit une bonne chose pour les événements positifs, elle ne l’est pas pour les événements négatifs. Tout comme l'incertitude peut intensifier les sentiments positifs quand les choses tournent bien, elle peut intensifier les sentiments négatifs quand ils tournent mal.

Je soupçonne une autre raison en relation avec le contrôle que nous avons de notre vie. Comme vous l'avez peut-être découvert par votre expérience personnelle, nous ne pouvons pas apprécier l'incertitude si nous sentons que notre vie n'est pas sous contrôle. Ce n'est que lorsque la vie est sous contrôle – du moins en ce qui concerne des aspects importants comme la santé, les relations et la sécurité financière – que nous sommes capables d'apprécier l'incertitude.

Il s'ensuit donc qu'une façon de vous mettre dans une position où vous pouvez apprécier l'incertitude est de mettre votre propre vie sous contrôle en premier lieu. Une grande part de ceci peut impliquer ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre. En particulier, il s'avère qu'il est extrêmement important de croire que vous avez assez de temps dans vos mains. La plupart d'entre nous menons une vie si frénétique et si agitée que nous manquons constamment de temps. Les résultats montrent que la perception de la rareté du temps est un destructeur majeur de bonheur.

Ironiquement, plus nous réussissons dans la vie, plus nous ressentons de pénurie de temps. Les résultats d'une étude récente aident à comprendre pourquoi. Les chercheurs ont demandé aux participants de jouer le rôle de consultants. Alors qu'un groupe d'étudiants était payé 15 cents par minute pour son temps, l'autre moitié a reçu 1,50 $. Plus tard, une fois le projet terminé, on a demandé à ces étudiants à quel point ils avaient été stressés par rapport au temps – et ce sont les participants les mieux payés qui ont ressenti plus de pression.

Cela suggère qu'une façon de ressentir moins le manque de temps est de réduire l'importance de  l'argent que vous gagnez au travail. Ou au moins renoncer à calculer votre taux de salaire horaire. Une autre approche, quelque peu contre-intuitive, consiste à s'engager dans un service social ; les résultats montrent que ceux qui se portent volontaires pour aider les autres ont tendance à ressentir plus d'abondance de temps. Une autre façon d'atténuer les perceptions du manque de temps est au travers de la crainte. Les expériences montrent que l'exposition à des images impressionnantes – baleines, chutes d'eau, etc. – ralentit la perception du temps, conduisant à l'impression que vous en disposez plus.

Toutes ces approches devraient, au moins en théorie, renforcer l'appréciation de l'incertitude et contribuer ainsi à en atténuer le désir de contrôle. Mais de toutes les façons d'atténuer le désir de contrôle, celle qui a peut-être le meilleur potentiel est d'en prendre le contrôle de soi-même. Prendre le contrôle interne signifie garder les clés de votre bonheur entre vos mains. Cela signifie ne jamais blâmer quelqu'un d'autre pour son malheur. Cela signifie bien manger, faire de l'exercice et mieux dormir.

Nous ne pouvons pas contrôler les sentiments et les décisions des autres, mais nous pouvons assumer la responsabilité de notre propre bien-être.

Via : Why Losing Control Can Make You Happier

Traduction : Christopher Compagnon